M. Schlup u.a.: Bibliophiles et mécènes

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Titel
Bibliophiles et mécènes. Deux siècles de donations à la Bibliothèque de Neuchâtel.


Autor(en)
Schlup, Michel; Bersier, Pierre-André; Schmidt, Michaël
Reihe
Patrimoine de la Bibliothèque publique et universitaire 7
Erschienen
Hauterive 2006: Éditions Attinger
Anzahl Seiten
339 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Philippe Henry

Dans la magnifique série Patrimoine de la Bibliothèque publique et universitaire, Michel Schlup nous offre encore un «beau livre», une nouvelle fois somptueusement mis en pages par les Editions Gilles Attinger. Le propos initial est, tout en respectant les intentions «patrimoniales» de la série, de rendre hommage, publiquement et concrètement, aux nombreux donateurs (principalement de livres, de manuscrits, de numéraires,) qui, dès les origines de l'institution et jusqu'à maintenant, ont joué et jouent encore par leur générosité un rôle clé dans l'enrichissement des fonds. Bien plus, sans cette forme de mécénat, affirme l'auteur, la Bibliothèque n'aurait pu naître si tôt; le fonds ancien, qui en constitue un des atouts-maîtres serait en particulier bien loin d'avoir l'intérêt qu'on lui reconnaît aujourd'hui loin à la ronde. Il était donc utile et nécessaire de montrer enfin, aussi systématiquement que possible, l'importance de cet aspect essentiel de l'histoire de la Bibliothèque.

La démonstration est menée de main de maître. Elle commence logiquement par un rappel détaillé des circonstances de la création de la Bibliothèque, rendue possible par le legs de David de Pury. L'institution, conçue dès 1788, ouverte au public en 1794, est donc dès le berceau placée sous l'égide du mécénat, puis du bénévolat de ses premiers animateurs, issus du petit monde des élites culturelles neuchâteloises. Les débuts sont modestes. Joints aux dons, de coûteux achats, dont la politique est finement analysée, ne permettent pas de dépasser le chiffre d'un peu plus de 3000 volumes disponibles en 1804; le livre est encore un objet de luxe. L'évolution de l'institution aux XIXe-XXe siècles, son affirmation dans une ville devenue académique, puis universitaire, le rôle de ses directeurs successifs sont ensuite retracés dans les grandes lignes, avec beaucoup de clarté.

Le cœur du livre est une analyse des dons et des donateurs, surtout aux XVIIIe-XIXe, puis au XXe siècles. Un Registre des dons rend l'opération possible pour la phase 1791-1902 – car les premières donations datent d'avant même l'ouverture au public. Cette source est hélas un peu décevante, dans la mesure où le détail des livres offerts n'est pas toujours relevé, pour se résumer à un simple nombre de volumes; au XIXe siècle, pas moins de 668 particuliers et 98 collectivités sont concernés. La sociologie des donateurs ne surprend pas: les élites culturelles locales dominent (professeurs, pasteurs...), comme les anciennes familles de la noblesse et de la Bourgeoisie, souvent aisées. Leurs gestes relèvent de ce que Michel Schlup décrit pertinemment comme un «premier mécénat», «encouragé par l'esprit civique et philanthropique qui marque la fin des Lumières neuchâteloises» – et dont le rôle, souvent méconnu ou sous-estimé, est capital dans la vie culturelle et sociale d'avant 1848. La typologie des ouvrages offerts ou légués à la Bibliothèque est présentée parallèlement au portrait de quelques donateurs, dont les goûts et les intérêts, ainsi que la signification des largesses peuvent être considérés comme représentatifs d'orientations intellectuelles et de pratiques largement répandues. Le lecteur est donc convié à une observation socio-culturelle du plus haut intérêt, d'autant qu'elle a été trop rarement entreprise à Neuchâtel (elle pourrait se faire par l'étude de certaines bibliothèques privées, dont la richesse transparaît en l'occurrence à travers ce qui en sort pour être mis à la disposition du public). D'étonnantes figures de bibliophiles raffinés et passionnés surgissent de cette galerie. Mais au-delà des personnalités et des dons exceptionnels, sur lesquels l'ouvrage met l'accent (peut-être un peu excessivement?), ce qui frappe est l'ouverture intellectuelle de toute une catégorie sociale, aussi intéressée par le développement des connaissances de son époque que par l'attachement à leur diffusion locale, via la Bibliothèque.

Les livres d'études dominent initialement, avec des classiques de la haute bibliophilie, collectionnés par quelques passionnés aux moyens élevés, ouvrages de prestige, richement illustrés, enchassés dans de luxueuses reliures. Au début du XIXe siècle, de somptueux ouvrages de sciences naturelles sont donnés, dont l'iconographie sophistiquée – fleurs, oiseaux, poissons – en faisait de véritables chefs-d'œuvre et dont l'âge d'or va, surtout en France et en Angleterre, de 1760 à 1860 environ. On reçoit aussi de magnifiques récits de voyages aux gravures coloriées à la main. Orfèvres en la matière, Michel Schlup et ses collaborateurs présentent avec minutie et exactitude les spécificités de ces ouvrages et les replacent dans un contexte bibliophilique qui en explique l'intérêt.

Des bibliothèques entières viennent également, de plus en plus souvent dès le milieu du XIXe siècle et surtout au XXe, garnir les rayons de la Bibliothèque. Au XXe siècle, après une malheureuse lacune de l'enregistrement des dons entre 1902 et 1920, le ton change. Les dons de prestige, relevant de la bibliophilie, se raréfient et les livres ordinaires l'emportent, avec les dons en argent, parfois considérables, avec aussi les papiers personnels cédés par les héritiers d'intellectuels ou d'artistes, de Léopold Robert à Denis de Rougemont. Mais de beaux exemples sont présentés de dons récents de livres précieux, anciens ou modernes.

Tous ces gestes sont à enraciner dans la même forte tradition neuchâteloise de générosité envers les institutions publiques, qui mériterait sans doute une mise en contexte et une analyse plus poussées. En attirant l'attention sur cette tradition sous l'angle de l'histoire culturelle et sociale, Michel Schlup, dans ce bel ouvrage abondamment et parfaitement illustré, ouvre la voie.

Citation:
Philippe Henry: Compte rendu de: Michel SCHLUP et al., Bibliophiles et mécènes. Deux siècles de donations à la Bibliothèque de Neuchâtel, Hauterive, Editions Gilles Attinger, 2006, 339 p. Première publication dans: Revue historique neuchâteloise, année 144-2, 2007, p. 143-145.

Redaktion
Veröffentlicht am
20.12.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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